dimanche 19 juillet 2009

Sondages : de petits arrangements entre amis ?

.
On se souvient peut-être que, lors de la campagne pour les élections européennes, François Bayrou avait exprimé quelques doutes quant à la sincérité des sondages publiés par certains instituts.

Le récent rapport de la Cour des Comptes sur les dépenses de l’Elysée vient de redonner à cette question une certaine actualité.

En effet, dans ce rapport, la Cour des Comptes pointe l’existence d’un contrat entre l’Elysée et l’institut de sondage OpinionWay. Un contrat qui prévoit d’une part le paiement de 10 000 Euros d’honoraires mensuels à un cabinet servant d’intermédiaire, et d’autre part l’achat à OpinionWay de 35 études pour un montant de l’ordre de 1,5 million d’Euros.

Jusque là, dira-t-on, rien d’anormal. Il n’est pas étonnant que l’Elysée souhaite connaître l’état de l’opinion sur tel ou tel sujet. C’est même plutôt rassurant.

Là où les choses se corsent, c’est que, selon la Cour des Comptes, 15 de ces 35 études ont ensuite fait l’objet d’une publication quasiment à l’identique dans les médias. Or, il est d’usage que les médias paient eux-mêmes les sondages qu’ils publient, ne serait-ce que pour des raisons d’indépendance et d’objectivité. En effet, en amont d’un sondage, il y a sa préparation et surtout la façon dont les questions sont libellées, ce qui peut grandement influencer le résultat et son interprétation.

La Cour des comptes fait donc observer que ces 15 sondages, qui ont coûté 400 000 Euros, n’auraient pas dû être payés par l’Elysée. Par ailleurs, le contrat avec OpinionWay a été signé sans appel d’offres ni mise en concurrence. Sans être illégale, cette démarche est inhabituelle et la Cour des Comptes a tenu à le souligner.

Mais ce n’est pas le plus intéressant.

Le plus intéressant, c’est que les sondages ont été publiés (et donc largement répercutés) par Le Figaro et par la chaîne LCI. Or, LCI, c’est une filiale de TF1, propriété de Martin Bouygues, un très grand ami de Nicolas Sarkozy puisqu’il est même parrain de l’un des enfants du président. Quant au Figaro, son directeur des rédactions est le célèbre Etienne Mougeotte, qui fut pendant vingt ans vice-président et directeur d’antenne de TF1 en même temps que président de… LCI.

Si on gratouille encore un peu, on trouve que le dirigeant et principal actionnaire du cabinet qui servait d’intermédiaire entre l’Elysée et OpinionWay est un dénommé Patrick Buisson. Ce monsieur, qui ne fait pas partie du staff officiel de Nicolas Sarkozy, est pourtant (semble-t-il) l’un de ses conseillers influents pour les questions relatives à la communication et aux sondages d’opinion. Il a été directeur du journal d’extrême-droite Minute et chroniqueur à... LCI. En 2007, il a reçu la Légion d’honneur des mains de Nicolas Sarkozy lui-même. A ses moments perdus, il travaille à la formulation des questions pour les sondages commandés par l’Elysée. Et le reste du temps, il est directeur de la chaîne Histoire, une chaîne thématique appartenant à… TF1.

Et si on gratouille encore, on découvre que OpinionWay appartient au groupe Bolloré. Vincent Bolloré, c'est ce milliardaire breton très mouillé dans la Françafrique, propriétaire d'Havas et qui, au lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy, lui a prêté son jet privé et son yacht pour quelques jours de vacances bien méritées.

Donc, tout ça semble dessiner une espèce de petit jeu entre amis qui ne donne pas une très grande impression de transparence ni d'impartialité.

Faut-il pour autant en conclure que certains sondages sont truqués ou que l’Elysée a pu chercher à manipuler l’opinion ? Ce serait sans doute excessif. OpinionWay n’est pas le seul institut, et d’une façon générale les diverses études publiées par divers médias donnent des résultats comparables. Quant au Figaro, ses sympathies pour M. Sarkozy sont bien connues, et il n’est donc pas étonnant de le voir «interpréter» des résultats de sondages dans un sens favorable à l’Elysée. C’est pourquoi les dénonciations virulentes de certaines personnalités politiques à propos de cette affaire (en particulier, la députée socialiste Delphine Batho) sont peut-être excessives.

Il semble néanmoins que les sondages OpinionWay commandés par l’Elysée sur les sujets qui fâchent (popularité du gouvernement, travail le dimanche…) se sont retrouvés dans Le Figaro sans que les journalistes du titre aient eu leur mot à dire. Ce qui est certain, c’est que la Société des Rédacteurs du Figaro s’est fendue d’un communiqué exprimant sa «consternation» à la lecture des révélations de la Cour des Comptes et demandant à sa direction de «mettre immédiatement un terme à ce type de coproduction qui nuit gravement à la crédibilité des titres du groupe».

Quant à OpinionWay, il a publié un communiqué expliquant que les questions payées par l’Elysée et par Le Figaro-LCI, bien que posées en même temps, n’étaient pas les mêmes et faisaient l’objet de facturations séparées, suivant le principe appelé «enquête Omnibus». L’institut affirme donc que les conclusions de la Cour des Comptes sont erronées. Et il rappelle par ailleurs qu’il a des clients de gauche (conseil régional d’Ile-de-France, mairie de Paris…) aussi bien que de droite.

Bref, tout ça n’est pas très clair.

On savait déjà que les sondages devaient être lus en gardant à l’esprit que leur signification statistique est parfois très douteuse. Désormais, il faudra aussi se demander qui les paye…

Comme disait Dutronc : plus on s’informe, plus on ne sait rien.

Ch. Romain

.

Aucun commentaire: