samedi 12 septembre 2009

Mahomet et la montagne...

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On connaît la formule attribuée à Mahomet : « Puisque la montagne ne vient pas à nous, nous irons à la montagne ». D’une certaine façon, « l’offre publique de dialogue » lancée le week-end dernier par François Bayrou aux diverses formations d’opposition semble s’en inspirer. Et pourtant, à y bien regarder, je me demande si ce n’est pas bel et bien la montagne qui est venue jusqu’à nous.

En effet, suite à cette offre de dialogue, nombre de commentateurs se sont demandé si « le MoDem ne serait pas passé à gauche ». Une interrogation que l’UMP et le Nouveau Centre se sont empressés de transformer en affirmation, avides qu’ils sont de lancer une opération de récupération de militants qu’ils imaginent perplexes ou déboussolés.

A ce sujet, rassurons tout de suite MM. Morin, Bertrand et consorts : les ovations qui ont accueilli à la Grande Motte les discours de François Bayrou et de Corinne Lepage montrent bien que les adhérents du MoDem, dans leur très grande majorité, approuvent la démarche d’ouverture entreprise par notre mouvement. Ces adhérents, comme tous les Français, ont compris depuis longtemps que la situation de notre pays exige une sorte d’union sacrée pour résoudre des problèmes concrets, et que les querelles d’étiquettes ou d’appellations ne sont plus de mise.

Cela dit, le MoDem a-t-il viré à gauche ? Pour ma part, j’ai envie de poser la question inverse : et si c’était la gauche qui avait glissé vers le MoDem ?

Affirmation mégalomane ? Voire. L’élection de Nicolas Sarkozy a marqué un tournant dans l’histoire de la droite française. Pour la première fois depuis la création de la Vème république, nous avons pour président un homme de droite néo-libéral, adepte avoué du modèle américain dans ce qu’il peut avoir de plus inégalitaire. Nicolas Sarkozy revendiquait la « rupture », et c’est bel et bien une rupture qu’il met en œuvre : la rupture avec une tradition française issue de la Libération et du programme du CNR (Conseil National de la Résistance). Cette tradition, faite de principes républicains et de solidarité, a été constamment respectée, au-delà des divergences politiques, par tous nos présidents successifs, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac. Mais Nicolas Sarkozy veut rompre avec cette tradition. C’est Denis Kessler, n° 2 du MEDEF à l’époque et proche du président, qui écrivait le 4 octobre 2007 dans le journal Challenges : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». On ne saurait être plus clair. Et de fait, les réformes entreprises par le gouvernement depuis deux ans vont bien dans ce sens : celui d’une démolition en règle du modèle social français.

Nous sommes passés d’une droite libérale-sociale à une droite beaucoup plus dure, pour laquelle les inégalités croissantes ne sont pas forcément une mauvaise chose, ni les services publics une bonne chose. C’est dire que beaucoup de républicains qui, jusqu’alors, pouvaient sans problème se dire de droite, ne se reconnaissent plus dans le sarkozysme. La droite au pouvoir aujourd’hui n’est pas celle qui était au pouvoir hier.

Du coup, c’est tout le paysage politique français qui a évolué : tout l’échiquier s’est déplacé d’une case à droite. Ainsi, le durcissement de la droite a laissé libre un espace démocrate-social dans lequel une partie du PS s’est naturellement installée. Ce qui a pu occasionner certains déchirements. D’abord, avec le départ de M. Mélenchon et la création du « Parti de Gauche » qui, fort logiquement, s’est bientôt allié avec le PCF. Et aujourd’hui encore, l’évident clivage de ce même PS en deux tendances : celle qui suivrait volontiers le glissement à droite vers une position socio-démocrate mêlée de valeurs républicaines et de la reconnaissance de l’économie de marché, et celle qui se cramponne à un discours plus radical hérité des années pré-mitterrandiennes. Un discours qui sert d’ailleurs d’alibi idéologique beaucoup plus que de doctrine d’action.

Europe Ecologie a également bénéficié de cette évolution. Si les Verts ont pu longtemps être perçus comme des « gauchistes utopistes », trois mouvements se sont conjugués pour les rendre crédibles. D’abord, leur participation active à l’exécutif dans de nombreuses collectivités territoriales (notamment les conseils régionaux ou municipaux) a fait émerger un nouveau profil de responsables écologistes à la fois volontaristes et plus sensibles aux exigences de la gestion « réelle ». Ensuite, l’inquiétude croissante des citoyens devant le risque écologique sous toutes ses formes (OGM, réchauffement climatique, menaces sur la biodiversité…) les a mis sur le devant de la scène. Et enfin, la crise économique et les ravages sociaux provoqués par une politique néo-libérale a donné une forte actualité à leurs discours de remise en cause d’un modèle de société à reconstruire de fond en combles.

Et le MoDem, dans tout ça ? Eh bien, les valeurs démocrates et républicaines défendues par l’UDF étaient jusqu’à Jacques Chirac des valeurs globalement partagées par le RPR. La cohabitation était donc effectivement possible – et on l’a bien vu. Mais avec l’avènement du sarkozysme et de la droite néo-libérale qu’il incarne, ces mêmes valeurs sont aujourd’hui battues en brèche. La cohabitation n’est donc plus possible, sauf pour d’éventuelles raisons alimentaires. Ainsi, n’ayant pas bougé de leurs positions, François Bayrou et le MoDem se retrouvent catalogués par certains « à gauche », simplement parce que tout le reste a glissé vers la droite. La droite traditionnelle s’est muée en droite dure ; une partie de la gauche se retrouve sur des positions proches du MoDem et de ses valeurs de démocratie sociale héritées du CNR.

En somme, ceux qui nous accusent d’avoir « basculé à gauche » ne prouvent qu’une chose : qu’ils sont eux-mêmes passés d’une droite sociale à une droite dure, inégalitaire et obsédée par un modèle américain aujourd’hui désavoué. En croyant nous condamner, ils ne condamnent finalement qu’eux-mêmes.

Ch. Romain


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1 commentaire:

andre777 a dit…

D'accord avec cette analyse à 100%.
D'ailleurs de De Villepin en passant par Juppé les positions sont en train d'évoluer grandement dans une droite qui commence à se détacher d'un sarkosisme qu'elle sait voué à l'échec.